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Mastery
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Maestrie
comme si elle avait acquis,
avec le nouveau siècle, des
sens seconds. Entre temps, on
ne parle plus de matière, mais
de matériau, et le matériau est
une matière déjà transformée
par la re-production industrielle
qui nous restitue un produit
de deuxième dérivation,
produit parfois hybride,
un pré-fabriqué toujours
capable de se transformer en
quelque-chose d’autre. Dans
sa condition de transformation
perpétuelle, ce n’est plus
sa masse qui en marque la
qualité, mais ses possibilités
d’extension et de polyvalence,
à plus forte raison si elles sont
déclinées dans le principe de
résistance+légèreté+élasticité.
Crea, Vetrofond et FAPS
sont les trois entreprises
en question, personnifi ées
respectivement par 7, 47 et
35 salariés, sans compter
leurs propriétaires, soit une ou
deux personnes au maximum
par entreprise. Ciment, verre
et fi bre de carbone sont les
matériaux qui ouvrent le
chapitre consacré au fait que,
au XXIème siècle, donner un
sens nouveau au matériau va
nécessairement de pair avec
une phase de reconversion et
de repositionnement industriel.
Nous ne sommes plus en 1945 et
le type de reconversion actuel
n’a plus rien à voir avec celui
de Iso qui passe des chaudières
aux mobylettes, ou de Piaggio
qui passe de l’aéronautique
au deux-roues. Or il s’agit
néanmoins d’une démarche
qui vise à repenser la façon
de produire de l’entreprise, en
fonction des bouleversements de
marché de ces quinze dernières
années. Un changement de
perspective, tout en restant
fi dèle à ses spécifi cités. Et s’il
faut modifi er le cadre pour que
la transformation s’opère, voilà
que la question de l’artisanat
industriel se pose à nouveau, et
que se profi le encore une fois ce
même type d’acteur et de fi gure
classique du design italien.
Il s’agit de cette même
fi gure mêlée de l’ouvrier-artisan,
du patron-concepteur, du
producteur-éditeur. La façon
italienne d’inventer une sorte
de solveur de problèmes tous
azimuts – technique, forme,
détail, prestation, sous-traitance
de qualité, concentration de
nombreux usinages – en une
seule et même personne. Des
fi gures-clé, centrales pour notre
histoire, à l’instar de Natale
Cappellaro, ouvrier d’Olivetti,
premier monteur des machines à
écrire MP1 puis concepteur des
révolutionnaires calculatrices
à plusieurs opérations, ou de
l’ingénieur Carlo Barassi, qui
démarre pendant la deuxième
guerre mondiale avec des
protections en mousse pour
les réservoirs de bombardiers
avant d’arriver aux nouveaux
fauteuils en élastomères, pour
l’automobile d’abord, puis pour
le mobilier de maison Arfl ex, ou
bien encore d’Enrico Garbarino
qui se laisse convaincre par
Ettore Sottsass de se lancer
dans l’aventure des « fausses »
surfaces en laminé, et fi nit par
inventer l’Abet Print en associant
un panneau de contreplaqué ou
d’aggloméré avec des résines
mélaminiques pressées. Le fait
d’avoir dans sa visée Crea,
Vetrofond et FAPS montre
que Foscarini croit en cette
dimension.
Crea est une créature de
Giovanni Piccinelli, un ancien
cimentier qui, après une période
de travail en Suisse, la patrie
du béton apparent et de ses
fi nitions les plus raffi nées,
crée sa propre entreprise à
Darfo Boario. Jusqu’à la fi n des
années quatre-vingt-dix, lorsque
la crise du bâtiment pèse
sur les aff aires, Crea produit
principalement des éléments de
construction et des composants
en béton. Piccinelli est sur le
point d’abandonner le marché
et de se mettre à produire des
pots de fl eurs en guise de passe-
temps. C’est à ce moment que
se présentent des demandes
pour produire des lampes et des
accessoires de décoration pour
extérieurs. Avec des objets de
plus petite taille, pense-t-il, les
risques allaient être réduits en
proportion. Il décide de relever
le défi . Grâce à son expérience
du décoff rage des pièces et des
problèmes de contre-dépouille,
il réussit aisément cet important
changement d’échelle, du
module pour bâtiment à l’objet.
Si l’activité sur les
composants de construction
en béton demeure dans la
tradition de l’entreprise, elle
passe toutefois de la production
courante de traverses, bordures
ou garde-corps aux commandes
spéciales et au « sur mesure ».
Pour Vittorio Moretti et les
caves Petra conçues par Mario
Botta à Suvereto, il fait le
pari de résoudre le problème
complexe du revêtement de
200 colonnes en acier. Ses 200
gaines rainurées en béton de
3,80 mètres de haut et de 15
tonnes chacune, réalisées en
deux pièces sont un magnifi que
exemple de design du
composant.
C’est sur un projet
apparemment infaisable tel
que celui de la lampe Aplomb
de Lucidi & Pevere avec un
réfl ecteur en ciment que
commence son rapport avec
Foscarini.
Jusqu’à présent, Crea
s’appuyait sur un producteur de
moules de la région de Bergame.
Or pour ce fournisseur, produire
un moule aussi petit pour un
objet aussi délicat que le cône
de la lampe Aplomb représentait
un souci plus qu’autre chose.
Lorsque son fournisseur de
moules a annoncé qu’il allait
prendre sa retraite, Piccinelli
a pensé que le moment était
venu d’acquérir les techniques
de production des moules et de
simplifi er ainsi considérablement
la gestion du travail. Dépendre
d’un fournisseur pour une phase
de projet représentait en eff et
beaucoup trop d’aléas. Piccinelli
a donc appris à fabriquer
ses propres moules dans un
bâtiment de l’entreprise où il
les produit encore aujourd’hui,
en caoutchouc et en silicone
notamment. À faire la
diff érence, ce n’était pas tant le
coût du moule (600/700 euros)
que la perte de temps et le
désagrément de ne pas pouvoir
assurer la continuité du projet au
sein de l’entreprise. S’agissant
d’une procédure parfois longue
et nécessitant des ajustements
continus, mieux valait avoir tout
sous la main. De fait, il a fallu
pour Aplomb entre 200 et 300
essais avant d’arriver à la lampe
fi nale.
Et on utilise aujourd’hui
45 moules contre 5 au début.
Dans la petite entreprise de 7
salariés, la production d’Aplomb
est suivie par trois ouvriers
(Vasile, Radu et Mamadou),
dont deux sont préposés à la
coulée, et un à la fi nition. Les
ouvriers interviennent sur la
coulée mais ne touchent pas
aux prototypes. C’est avec les
enfants de Giovanni, Ottavio
(qui supervise la production)
et Carlo (concepteur suivant
les aspects commerciaux) qu’a
commencé cette conversion à
l’objet domestique. Un parcours
diffi cile, surtout pour la phase
de sablage, qui nécessitait un
soin tout particulier pour obtenir
une irrégularité contrôlée de la
granulométrie et du pore ouvert
dans le ciment du réfl ecteur,
un aspect que les ouvriers
négligeaient au début, le
considérant comme une simple
perte de temps.
Ottavio a alors eu l’idée
d’emmener les trois ouvriers en
question au Salon du Meuble
de Milan pour leur faire
comprendre que ces objets
étaient destinés à la décoration
d’intérieur et à un monde où
la fi nition avait une valeur
importante.
C’est ainsi qu’ils ont compris
l’importance de fi gnoler à la
main, avec un tuyau, les bords
des parties étroite et large du
cône, une opération nécessaire
pour éliminer les excédents
de ciment avant de procéder
au sablage. Après une fi nition
imperméabilisante et le passage
au contrôle qualité de Foscarini,
les objets sont envoyés à
Pordenone où sera montée la
partie électrique de la lampe
pour lever enfi n le voile de
Maya qui recouvrait depuis
trop longtemps une réalité
industrielle qui ne l’était qu’en
apparence. Une illusion qui
voilait une réalité des choses qui
existait bel et bien à l’abri des
regards.
Pendant des décennies,
l’artisanat avait été littéralement
ignoré et réduit à une simple
question de chiff res : s’il
s’agissait d’une production
de grande ou moyenne série,
on la qualifi ait d’industrielle,
la dimension artisanale étant
réservée aux petites séries.
Il est clair qu’à l’aune de ce
paramètre, l’artisanat arrivait
largement perdant, pulvérisé,
dépassé et hors du temps, tandis
que la production de série, la
grande série et les quantités
industrielles allaient porter au
fi nal à des marchés plus grands.
Or personne n’avait
intérêt à démonter cette
machine productive et de
réaliser une radiographie à
l’échelle nationale du cycle de
production pour vérifi er ce qui
était eff ectivement exécuté par
la machine et ce qui relevait
des opérations continues
d’adaptation, de fi nition, de
fi gnolage et d’amélioration
qualitative réalisées par un
ouvrier spécialisé (c’est-à-dire
l’artisan moderne). Le monde
du design préférait parler
plutôt de projet, de culture du
projet et de ses protagonistes/
designers, en se focalisant sur
la partie high de la discipline
et sur la contribution culturelle
qu’elle apportait à la société
italienne. Parallèlement, des
caractéristiques artisanales
de qualité continuaient
de remplir leur fonction
indispensable dans le produit, et
à faire rentrer dans le domaine
du possible les requêtes et les
exubérances les plus extrêmes
des diff érents concepteurs, sous
le couvert d’une logique dite «
industrielle ».
Mais tout allait changer
avec le tournant du XXIème
siècle. Dans un monde globalisé
caractérisé par la présence
de nouveaux acteurs et de
nouvelles scènes émergentes, la
culture industrielle était devenue
à la portée de tous, simplifi ée
et lissée de ses aspects
technologiques qui étaient à
présent disponible à toutes les
latitudes. De même, dans un
monde hyper-saturé et dépourvu
de véritables demandes
fonctionnelles (ou tout du
moins là où l’off re de projets
dépassait la demande), la
culture des designers manquait
d’ambition, avec un projet
faible, où l’innovation, bien que
constante, ne se faisait que
par de micro pas en avant. L’un
et l’autre de ces phénomènes
ouvraient grand au design la
voie de la simplifi cation, qui
conduisait dangereusement à un
produit diff us et homogène. Le
substrat artisanal de qualité qui
demeurait dans la production
industrielle semblait en revanche
échapper à cette logique.
C’est là que l’artisan, avec ses
recettes encore à demi cachées
et sa manualité, avec ce
patrimoine ancien jamais révélé,
pouvait continuer à faire la
diff érence. Et quand, pendant la
première décennie du nouveau
siècle, certaines entreprises
allaient voir les ventes de
certains produits industriels
tomber au point de se quantifi er
en dizaines ou en douzaines,
l’alibi des chiff res allait tomber
lui aussi pour redonner tout son
rôle à l’artisan et redorer son
blason aux yeux du monde.
2.
La question se pose alors :
qui s’occupe aujourd’hui de la
recherche ? De la complexité ?
Les grandes marques qui ont
vu le jour au début du nouveau
siècle avaient d’autres chats
à fouetter, et si elles se sont
constituées, c’est parce qu’elles
voulaient mettre de l’ordre dans
le système complexe de la «
distribution du design, sachant
qu’avec la mondialisation, 40
ou 50% créait des problèmes
particuliers et autant
d’opportunités. Elles ne se sont
certes pas regroupées pour
faire de la recherche orientée
vers le produit. Pour répondre
au principe des économies
d’échelle ; l’identité et la
rationalisation devaient occuper
une place centrale, mais le type
de produit qui ressortait de la
concentration des marques
avait inévitablement un style
typiquement contract : parfait
pour les grandes fournitures,
ni beau ni laid, correct d’un
point de vue technique, mais
suffi samment plat pour ne
pas créer de sauts imprévus,
en s’imposant par là même à
travers une sorte d’« indéterminé
de qualité ».
Pour échapper à tout
cela, l’artisanat était seul en
mesure de proposer encore de
la qualité et de l’unicité, de sa
manière simple et fl exible, et
d’assurer le just in time à des
coûts relativement bas. Dans
cette dimension, on avait encore
droit à l’erreur et il y avait de
la place pour les projets qui
n’aboutissaient pas forcément
tous, pour une expérimentation
qui ne se traduisait pas par
des investissements excessifs,
dans une situation de marché
qui apparaissait déjà depuis
quelques années relativement
délicate. L’artisan était le seul
capable d’accepter certains
paris un peu fous qui pouvaient
arriver des coins les plus
perdus des pays émergeants,
et de les réaliser une première
fois pour ensuite les refaire
peu longtemps après avec de
minimes variations. Ou bien de
faire dans la pièce unique et
le « sur mesure », où prototype
et production coïncident avec
l’exemplaire 1/1, la plupart du
temps avec un niveau élevé
de complexité. En cela, notre
pays montrait à quel point il
était moderne et en ligne avec
l’observation de Luigi Pasinetti
qui affi rmait que « la richesse
d’une nation industrielle est
quelque-chose de complètement
diff érent de celle des nations
pré-industrielles, ou plutôt
quelque-chose de plus profond.
Moins liée à la valeur des bien
possédés, elle représente
la connaissance technique
nécessaire pour les produire » (1).
C’est depuis une perspective
diff érente, celle du critique d’art,
que s’en apercevait aussi Pierre
Restany, dans une phase de
grande expansion industrielle
telle que la fi n des années 70. Ce
dernier voyait bien l’importance
de cette caractéristique
artisanale lorsqu’il affi rmait
que les Italiens avaient réussi à
devenir de parfaits ébénistes
du plastique et à reconnaître
« l’intelligence du matériau ».
Et cette observation aurait
pu être généralisée à tous les
nouveaux matériaux qui allaient
apparaître successivement sur
la scène, comme si n’importe
quelle forme d’innovation
technique pouvait toujours
s’interpréter « à la façon des
ébénistes ».
Il suffi sait de savoir
dédoubler certains passages
de la production pour produire,
près de chez nous, et de la
meilleure façon qui soit, telle ou
telle phase du projet qui allait
ensuite s’enchaîner aux phases
successives d’une chaîne.
Une ligne de production à
courant alternatif et segmentée,
mais qui permettait de passer
presque naturellement d’un
compartiment d’ouvraison
à l’autre. Comme lors du
montage d’un fi lm, on parvenait
à associer des logiques
hétérogènes, où les relations
et les liens étroits étaient
constitués grâce à un principe
de qualité.
3.
L’analyse en profondeur
que nous avons voulu mener
concernant le design de
Foscarini s’articule autour
de trois structures légères
de la production, liées à trois
façons d’interpréter la matière.
Ces dernières s’inscrivent
parfaitement dans la direction
du projet moderne et se laissent
conduire vers des glissements
progressifs d’une matière aux
modalités d’emploi mouvantes,