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STORYTELLING
STORYTELLING
Rossana Hu & Lyndon Neri
Rossana Hu & Lyndon Neri
Comment Stellar Works embrasse-t-elle
le chaos, l’hétérogénéité multiculturelle
et l’attraction qu’exerce une mégalopole
telle que Shanghai ? Quel rôle peut y
jouer Design Republic, votre studio de
design ?
N.&H. : Stellar Works les embrasse tous,
incontestablement. Design Republic
apporte un soutien inconditionnel à la
marque et souhaiterait en faire encore
davantage. Nous avons déjà aménagé
un espace d’exposition consacré à ses
collections et aimerions nous inves-
tir davantage dans le marketing et les
relations publiques de la marque. Nous
voyons donc Design Republic comme un
solide partenaire de Stellar Works.
Stellar Works a-t-elle pour objectif de
perfectionner l’artisanat haut de gamme
asiatique pour l’exporter vers l’Europe et
le monde ? Sa valeur ajoutée réside-t-
elle dans l’interculturalité des
techniques et esthétiques asiatiques
(chinoises, japonaises, taïwanaises, etc.)
fondées sur des matériaux naturels et
des compétences traditionnelles
comme contemporaines ?
N.&H. : Nous aspirons effectivement
à amener l’artisanat asiatique haut de
gamme à différents niveaux. Au sein de
la direction artistique, nous avons intro-
duit en 2018 des techniques artisanales
traditionnelles uniques dans des projets
sur lesquels nous travaillons. Nous avons
intégré de nouveaux designers de pro-
duits auxquels nous aimerions confier de
nouvelles tâches relevant du mobilier et
de l’artisanat. Il ne s’agira pas de produc-
tion de masse, mais d’éditions limitées
rattachées aux différentes collections.
Pourriez-vous nous livrer le sens du
Cabinet of Curiosity, un projet expéri-
mental exposé au Spazio Rossana
Orlandi de Milan en avril 2015 ? Conçu
pour donner vie à la valeur holistique du
mobilier, ce projet revêt-il un sens méta-
phorique quant à votre direction
artistique de Stellar Works, ou a-t-il évo-
lué depuis ?
N.&H. : Cabinet of Curiosity n’a pas
été lancé par Neri&Hu, mais par Shell,
l’ancien directeur artistique de Stellar
Works. C’est une histoire compliquée :
nous y avons apporté notre touche,
car nous y avons été invités, mais
nous n’assumions pas encore la direc-
tion artistique de Stellar Works. Nous
adorons ce projet. Nous aimerions le
prolonger et pourquoi pas le faire varier
chaque année, mais il nous faudra pour
ce faire obtenir l’accord préalable du
propriétaire et de Shell.
Vous avez exposé votre conception de la
maison idéale à l’occasion d’imm
Cologne, en janvier 2015. Le projet Das
Haus pourrait-il illustrer votre vision de
l’espace de vie, l’archétype du chemine-
ment de la mémoire, la tactilité visuelle,
l’éloge des ombres, la « nostalgie
réflexive », etc. ?
N.&H. : Das Haus ne représente qu’une
petite partie de ce que nous considé-
rons comme la maison idéale. Cette
installation était en outre spécifique-
ment conçue pour le marché européen
et la communauté du design. Nous y
avons apporté de nombreuses façons
plus asiatiques, à notre sens, de perce-
voir l’espace. Nous avions également des
images de Shanghai, où nous vivons, et
de notre quartier. L’espace est empreint
de la croyance fondamentale selon
laquelle l’histoire exerce une considérable
influence sur qui nous sommes et sur
notre façon de vivre et de concevoir l’es-
pace de vie. Nous ne partageons pas l’idée
selon laquelle les intérieurs devraient être
des espaces purs dans lesquels on ferait
table rase du monde environnant. Nous
considérons au contraire que l’espace
Pourriez-vous citer des catégories de
meubles et d’objets que vous aimeriez
explorer ou que vous avez déjà mis à
l’honneur dans vos créations ? Je pense
par exemple aux paravents, aux lits de
repos, aux services à thé, aux lampes en
papier, etc. Lesquels pourraient s’avérer
intéressants pour de futures collections
avec Stellar Works ?
N.&H. : Nous sommes intéressés par les
cabinets et les armoires (à commencer
par le Cabinet of Curiosity), que nous
aimerions faire revenir sur le devant
de la scène. Nous aimons également
les catégories hybrides (chaise avec
table, sofa avec table, lit avec table de
chevet, table avec lampe, etc.), étant
nous-mêmes culturellement hybrides.
Le dialogue culturel entre l’Orient et l’Oc-
cident se limite souvent à des clichés ou à
des archétypes. Des marques de luxe
comme Shang Xia ou Jia se sont lancées
dans la sublimation de l’artisanat en pui-
sant dans les cinq millénaires de l’histoire
chinoise pour les réinjecter dans la vie
contemporaine. Quelle est votre ambition
pour Stellar Works ?
N.&H. : Nous cherchons à éviter les cli-
chés culturels et le prévisible, ce qui
n’est pas toujours évident. Nous voulons
nous inscrire dans l’histoire et explorer
la capacité du design moderne à réin-
jecter des éléments et des références
historiques dans l’avenir. Notre ambi-
tion ? Une chose après l’autre. Nous
aimons déterrer des vestiges culturels et
historiques qui n’ont rien d’éclatant, mais
infusent du sens dans notre quotidien.
La culture populaire chinoise nous inté-
resse davantage que la Chine impériale.
C’est peut-être ce qui nous distingue.
L’Occident a été très influencé par le
Japon et la Chine, et inversement,
comme l’illustrent la période Muji au
Japon ou les périodes Qing et Ming en
Chine. Stellar Works s’engagerait-elle
sur le même chemin en explorant de
nouveau des techniques comme celle de
la porcelaine d’Arita ? Existe-t-il d’autres
techniques chinoises ou japonaises, ou
peut-être taiwanaises, que vous aime-
riez redéfinir à partir de votre regard et
de votre sensibilité, ou de ceux d’autres
designers ?
N.&H. : Il existe de nombreuses tech-
niques que nous aimerions explorer,
mais qui ne sont pas précisément liées à
des références historiques ni à une éven-
tuelle influence sur l’Occident. Nous ne
sommes pas des universitaires, nous ne
4.
à l’évolution contemporaine de l’archi-
tecture et du design mobilier en Asie et
en Occident (États-Unis et Europe).
Quelle influence mutuelle exercent ces
continents « opposés » ? Comment défi-
niriez-vous l’esthétique asiatique ?
Pourrait-elle se refléter dans un objet
tangible ou une expérience collective ?
N.&H. : Une définition recourant aux
notions de frontières et de marge ne
tiendrait pas longtemps la route ; il me
semble du moins difficile de définir l’es-
thétique de cette façon. À mes yeux,
l’esthétique dépasse largement la dimen-
sion visuelle : elle est philosophique et
recouvre à ce titre de nombreuses expé-
riences et réflexions, portant notamment
sur notre façon de vivre, l’espace, la pro-
cession, le mouvement, les pratiques et
habitudes culturelles (comment les gens
dorment, mangent, boivent de l’eau, se
lavent les dents, prennent un café, se
font un thé, font bouillir de l’eau…). Se
définit-elle, dès lors, par un objet ou par
une multiplicité de pratiques ? Je pen-
cherais pour la seconde proposition. Il
s’agit incontestablement d’une expé-
rience collective, qui s’enracine toutefois
dans les considérations philosophiques
d’une communauté de personnes pen-
dant une période précise.
de vie doit être imprégné d’histoires et
d’obsessions personnelles.
Quels sont les inspirations et les meil-
leurs projets de Neri&Hu pour Stellar
Works, comme les collections Ming,
Utility, Jubilee 1965-2005 et Mandarin ?
N.&H. : Leurs inspirations sont les
mêmes que celles de notre propre tra-
vail : nous les avons puisées dans notre
expérience de vie à Shanghai, les objets
que nous y rencontrons et les besoins du
marché et des projets sur lesquels nous
travaillons. La collection Ming constitue
par exemple une interprétation moderne
d’un siège remontant à la dynastie Ming,
dont la construction, les détails et les
formes ont entièrement été revisités.
Cette possibilité formelle qu’offre le
design nous a semblé intéressante et fait
partie intégrante de la collection Ming,
malgré l’impossibilité de détailler les
références. Utility et Mandarin consti-
tuent avant tout des réponses à nos
propres projets d’intérieurs.
En tant qu’architectes et designers, vous
explorez ce qu’on appelle l’« esthétique
asiatique » (les matériaux, les procédés
de conception et les techniques artisa-
nales), tout en réfléchissant à l’histoire et
© Su Li
4 — Neri&Hu, Tripod Table
5 — Neri&Hu, Ming Collection.