ENTRETIEN _ INTERVIEw wITh AVEc GAËLLE LAURIOT-PRéVOST & DOMINIQUE PERRAULT
propos recueillis par _ interviews conducted by françoise-claire prodhon
Quel regard portez-vous sur cette collaboration avec le Studio
Liaigre et sur le fait qu’une interprétation de la bibliothèque Bloc
initialement créée dans le cadre du chantier de la Bibliothèque
nationale de France soit aujourd’hui éditée par la maison ?
Gaëlle Lauriot-Prévost : Liaigre est une maison dont l’image est
intemporelle et dont les créations reflètent ce caractère, c’est
à mes yeux une qualité et c’est la raison pour laquelle cette
bibliothèque, classique elle aussi, s’inscrit parfaitement dans le
catalogue de la maison.
Dominique Perrault : Cette bibliothèque classique, pour ne
pas dire furieusement classique, relève d’une géométrie très
Kantienne : j’entends par là d’un travail de géométrie lié à la
raison, une géométrie dans laquelle tout s’explique. Il n’y a pas
un élément qui ne fasse pas partie du tout, à l’image d’un livre,
ou d’un cerveau ! Cela ne peut fonctionner que si l’on demeure
dans un langage classique c’est-à-dire une écriture liée à la
symétrie et à des formes géométriques élémentaires. Ce langage
nous rapproche de Liaigre dont les aménagements intérieurs et
le design ont certes une dimension domestique chaleureuse,
mais sont avant tout très dessinés.
Chez Liaigre, la géométrie et la question de l’usage sont
omniprésentes, cela révèle une conception très directe de
l’architecture intérieure et du design.
Cette bibliothèque a été pensée dans un souci très évident du
détail, une approche attentive de sa fonctionnalité…
G.L-P: Dans cette bibliothèque tout a été conçu et dessiné pour
le livre, les plots, d’abord, qui sont des éléments de séparation
mais aussi le petit rebord à l’arrière de l’étagère qui existait déjà
sur le modèle initial ; un rebord pour que le livre ne tombe pas ou
ne frotte pas, qu’il ne puisse pas s’abîmer, c’est une question de
respect du livre. Cela nous semble fondamental…
Liaigre travaille avec une large gamme de matériaux et
notamment beaucoup de variétés ou d’essences de bois,
comment avez-vous choisi le bois de cette bibliothèque ?
G.L-P : Nous avons fait notre choix dans la gamme de bois
proposée par Liaigre et sommes tombés immédiatement
d’accord. Nous avons cependant insisté pour que Liaigre utilise un
sens de placage particulier, analogue à celui adopté pour le projet
de la BNF. Nous voulions précisément que le placage soit vertical
sur l’intégralité des éléments du meuble. Liaigre avait l’habitude
de faire différemment en posant le placage horizontalement sur
les éléments eux-mêmes horizontaux. Ce n’est pas un détail à
nos yeux : le fait qu’un placage soit posé uniformément donne à
l’objet l’aspect monolithique que nous recherchions. Dans le cas
contraire, l’objet aurait semblé hétéroclite, formé d’un cadre et
d’étagères distincts. La perception du meuble s’en serait trouvée
complètement modifiée.
En quoi la bibliothèque éditée par Liaigre est-elle différente de
celle dessinée et réalisée pour la BNF ?
G.L-P : Il a fallu faire évoluer la bibliothèque conçue pour la
Bibliothèque nationale pour en faire un élément de mobilier
davantage domestique. Il me semble nécessaire de lever une
ambiguïté à ce sujet : la bibliothèque dessinée pour Liaigre n’est
pas l’étagère de la BNF. Je ne dis pas cela pour dévaloriser la
proposition mais pour expliquer que les kilomètres de rayonnages
développés pour les salles de lecture de la BNF constituent
un paysage qui est dessiné en fonction des dimensions de
l’architecture…
D.P : En effet, si l’on prend une des bibliothèques des salles
de lecture de la BNF et que l’on cherche à l’installer dans un
espace domestique, on ne peut juste plus entrer dans la pièce
! Dans les espaces de la BNF ces étagères sont parfaitement
proportionnées, elles sont installées entre des poteaux de 14
mètres de haut et de 3 mètres de large ! C’est donc vraiment
une toute autre échelle. Nous avons été très sensibles au fait
que Liaigre apprécie cette écriture, mais il était nécessaire de
la penser dans une adaptation, ce que nous avons fait est une
interprétation de ces bibliothèques.
Cela ramène à la question de l’espace domestique qui n’est
que très rarement à la même échelle que celui d’un bâtiment
public…
D.P : S’agissant d’espace domestique, il y a chez Liaigre
l’expression d’un souci du tactile, du confort. Dans un bâtiment
comme la BNF cela s’exprime autrement, les meubles redessinent
le monument à une échelle qui les rend partie intégrante de
l’architecture.
Revenons si vous le voulez bien aux caractéristiques de ce
meuble…
D.P : S’agissant du placage, le fait qu’il soit déroulé dans le sens
de la structure du bois fait que l’on perçoit une masse, mais les
plots sont eux aussi très importants du point de vue du rythme
de l’objet… Les plots que l’on retrouve dans l’adaptation conçue
pour Liaigre viennent scander la présence ou l’absence des
ouvrages, le meuble peut être perçu comme une sculpture que
l’on fait vivre d’une façon ou d’une autre…
G.L-P : Il faut également souligner qu’à la BNF ces bibliothèques
ne sont pas systématiquement posées contre les murs
contrairement à ce que l’on observe la plupart du temps dans un
espace domestique. À la Bibliothèque, l’étagère est double-face,
on peut la voir alternativement d’un côté puis de l’autre. Installé
contre un mur, l’objet impose une autre silhouette , tout en
restant complètement modulable, Dominique disait justement
sculpturale.
Il semble évident que cette bibliothèque va faire figure
de “meuble signature” au sein des collections de Liaigre,
notamment parce qu’il s’agit d’une pièce emblématique liée à
un projet patrimonial.
D.P : Une fois encore, si la racine de ce projet est la Bibliothèque
nationale de France, la bibliothèque Bloc que nous signons chez
Liaigre en est l’interprétation notamment parce que l’échelle est
radicalement différente. Les paysages de livres que proposent
les salles de lecture de la BNF ne sont pas reproductibles à
l’échelle d’une maison ou d’un appartement. Pour nous il s’agit
d’un nouveau projet et non d’une création figée dans le temps,
cette bibliothèque est un nouvel objet.
Au sein des collections de Liaigre elle sera proposée dans
différentes versions : différentes dimensions, avec ou sans fond,
éclairées ou non. C’est donc un élément de mobilier, destiné à
vivre au milieu d’autres éléments et dans différentes pièces du
salon au bureau, de la chambre à l’entrée ou à la bibliothèque.